Qui pourrait contester que le droit à l’eau est un droit humain essentiel ? Comme beaucoup d’acteurs internationaux, nous sommes favorables à une reconnaissance internationale de ce droit. Encore faut-il que celui-ci soit associé au droit à l’assainissement, fondamental pour la santé publique.
Parce que ce droit est fondamental, il doit devenir effectif pour le milliard d’hommes aujourd’hui privés d’eau potable et les 2,5 milliards dépourvus d’assainissement. Or qui dit instauration d’un droit dit instauration d’une créance avec un débiteur en charge de l’honorer. […]
Dès lors, la question n’est pas seulement d’instaurer ce droit à l’eau, mais d’en identifier le débiteur. Ce ne peut être que les autorités publiques, et, plus précisément, les autorités locales, puisque, dans la plupart des pays, ce sont elles qui assurent l’alimentation en eau. C’est une redoutable responsabilité que d’être débiteur du droit à l’eau pour tous. […]
Déjà, pour traduire ce droit sur le terrain sans attendre qu’il soit érigé par la communauté internationale, des autorités publiques ont bâti des systèmes pragmatiques. Au Gabon, par exemple, trois types de solidarité se conjuguent pour faire du droit à l’eau une réalité : une solidarité entre abonnés qui allège le prix des consommations de base ; une solidarité géographique entre centres isolés et grandes villes, celles-ci finançant ceux-là ; une solidarité interactivité, les ressources du service de l’électricité finançant les investissements du service de l’eau.
Moins de dix années nous séparent de l’échéance fixée pour atteindre les Objectifs du millénaire : diminuer de moitié, d’ici à 2015, le nombre de personnes qui n’ont pas accès à l’eau et à l’assainissement. Grâce aux progrès rapides réalisés par le géant chinois, on pourrait espérer qu’au moins pour l’eau potable l’objectif global soit tenu. Mais dans d’autres régions du monde, il semble bien qu’on soit loin du compte, et l’on ne dispose toujours pas d’un véritable outil d’évaluation. A la confiance des Nations unies, répond le doute des gens de terrain. Hormis pour l’Asie en forte croissance, l’augmentation des taux de desserte tarde. Sans un changement de braquet, en particulier dans le domaine de l’assainissement, la communauté internationale ne tiendra pas ses engagements, notamment en Afrique.
Ce diagnostic pessimiste est souvent justifié par l’immobilisme qui prédomine dans bien des pays ou par l’échec d’un certain nombre de projets lancés dans les années 1990. Des erreurs ont pu être commises, reconnaissons-le. On sait moins, parce qu’on en parle moins, que d’autres projets, au moins aussi nombreux, sont en passe de réussir. Par exemple, au Maroc, depuis 2001, 4 millions de personnes ont été raccordées au réseau d’alimentation en eau potable, soit près de 15 % de la population. Ce qui n’est pas rien. Au Gabon, en huit ans depuis le passage en gestion déléguée, la population raccordée à des systèmes modernes d’alimentation en eau est passée de 40 % à près de 70 %. De tels rythmes laissent présager que, dans ces pays, les Objectifs du millénaire pour l’eau seront dépassés. Ces réussites autorisent à regarder l’avenir avec un optimisme raisonné. Elles prouvent qu’il n’y a pas de fatalité devant les pénuries de services essentiels.
On connaît les pistes prometteuses pour mettre en œuvre concrètement le droit à l’eau : définir des politiques nationales, confier aux autorités locales la responsabilité et le financement de ce service de proximité, associer les populations concernées, pratiquer des tarifs socialement acceptables, créer les conditions de la confiance pour financer les investissements, choisir un opérateur efficace, transférer les savoir-faire, combattre la corruption.
Afin de tirer tous les enseignements des différentes expériences et surtout afin de les faire partager à l’ensemble des acteurs, il nous semble que le temps est venu de proposer la création d’un organisme international indépendant chargé de repérer, sur la base d’indicateurs de réussite objectifs, les démarches et les systèmes de gouvernance qui favorisent l’accès du plus grand nombre à l’eau.
Ce "Conseil des bonnes pratiques pour le droit à l’eau" serait un lieu de rencontre et de partage d’expériences, ouvert à tous ceux qui veulent sincèrement dialoguer pour progresser. Là, les collectivités locales et les parlementaires avec leur sens de la mission publique, les ONG avec leurs savoir-faire sociaux, les entreprises avec leur expertise et leur souci d’efficacité détermineraient, sans complaisance mais sans malveillance, quelles sont les meilleures solutions pour combler rapidement les retards.
Dans notre histoire, l’eau a davantage été un sujet de coopération que d’opposition. C’est un des enjeux du Forum de Mexico que de dépasser des conflits souvent artificiels pour promouvoir une logique de partage et d’efficacité ; pour faire de la modernisation des services d’eau une priorité des villes et Etats du Sud, ce qui est trop rarement le cas aujourd’hui.
Le droit à l’eau mérite mieux que les affrontements stériles qui détournent les énergies de l’action. Le monde de l’eau qui se réunit à Mexico entendra-t-il l’appel que lançait Gabriel Garcia Marquez : "N’attendez rien du XXIe siècle, c’est le XXIe siècle qui attend tout de nous" ?
Le Monde du 17 mars 2006
Antoine Frérot est directeur général de Veolia- eau, l’un des grands opérateurs français du secteur.
I- Questions (10 points)
- Etudiez les indices d’énonciation dans les paragraphes 5 et 6. (4 points)
- Précisez la progression argumentative du 6ème au 9ème paragraphe. (4 points)
- Reformulez en une phrase la thèse de l’auteur. (2 points)
II- Travail d’écriture : (10 points)
« N’attendez rien du XXIème siècle, c’est le XXIème siècle qui attend tout de nous. », lance l’écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez, prix Nobel de littérature.
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