Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.
De l' esclavage. Du contrat social (livre I, chapitre IV: De l'esclavage); Rousseau
Puisqu' aucun homme n' a une autorité naturelle sur son semblable, et puisque la force ne produit aucun droit, restent donc les conventions pour base de toute autorité légitime parmi les hommes.
Si un particulier, dit Grotius, peut aliéner sa liberté et se rendre esclave d' un maître, pourquoi tout un peuple ne pourroit-il pas aliéner la sienne et se rendre sujet d' un roi ?
Il y a là bien des mots équivoques qui auroient besoin d' explication, mais tenons-nous-en à celui d' aliéner . Aliéner c' est donner ou vendre. Or un homme qui se fait esclave d' un autre ne se donne pas, il se vend, tout au moins pour sa subsistance : mais un peuple, pourquoi se vend-il ?
Bien loin qu' un roi fournisse à ses sujets leur subsistance, il ne tire la sienne que d' eux, et selon Rabelais un roi ne vit pas de peu. Les sujets donnent donc leur personne à condition qu' on prendra aussi leur bien ? Je ne vois pas ce qu' il leur reste à conserver.
On dira que le despote assure à ses sujets la tranquillité civile. Soit : mais qu' y gagnent-ils, si les guerres que son ambition leur attire, si son insatiable avidité, si les vexations de son ministère les désolent plus que ne feroient leurs dissentions ? Qu' y gagnent-ils, si cette tranquillité même est une de leurs misères ? On vit tranquille aussi dans les cachots ; en est-ce assez pour s' y trouver bien ? Les grecs enfermés dans l' antre du Cyclope y vivoient tranquilles, en attendant que leur tour vînt d' être dévorés.
Dire qu' un homme se donne gratuitement, c' est dire une chose absurde et inconcevable ; un tel acte est illégitime et nul, par cela seul que celui qui le fait n' est pas dans son bon sens. Dire la même chose de tout un peuple, c' est supposer un peuple de fous ; la folie ne fait pas droit.
Quand chacun pourroit s' aliéner lui-même, il ne peut aliéner ses enfans ; ils naissent hommes et libres ; leur liberté leur appartient, nul n' a le droit d' en disposer qu' eux. Avant qu' ils soient en âge de raison, le père peut, en leur nom stipuler des conditions pour leur conservation, pour leur bien-être ; mais non les donner irrévocablement et sans condition ; car un tel don est contraire aux fins de la nature, et passe les droits de la paternité. Il faudroit donc, pour qu' un gouvernement arbitraire fût légitime, qu' à chaque génération le peuple fût le maître de l' admettre ou de le rejeter : mais alors ce gouvernement ne seroit plus arbitraire.
Renoncer à sa liberté c' est renoncer à sa qualité d' homme, aux droits de l' humanité, même à ses devoirs.
Il n' y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une telle renonciation est incompatible
avec la nature de l' homme ; et c' est ôter toute moralité à ses actions que d' ôter toute liberté à sa volonté.
Enfin c' est une convention vaine et contradictoire de stipuler d' une part une autorité absolue et de l' autre une obéissance sans bornes. N' est-il pas clair qu' on est engagé à rien envers celui dont on a droit de tout exiger, et cette seule condition, sans équivalent, sans échange, n' entraîne-t-elle pas la nullité de l' acte ? Car, quel droit mon esclave auroit-il contre moi, puisque tout ce qu' il a m' appartient et que, son droit étant
le mien, ce droit de moi contre moi-même est un mot qui n' a aucun sens ?